Pom po-pom pom pom…

En manque crucial de gars, la patrouille recrute.

dimanche 28 novembre 2010

Séance Héphaïstos !





Un homme assis devant une table. Il écrit. Lentement, posément, sans labourer le quadrillage du papier, son stylo suit le cours de ses souvenirs. Seule lumière dans la pièce enténébrée sentant le saumon fumé, la lampe de bureau qui, incidemment, éclairait le visage de l'écrivain par en-dessous. Il soupira, posa son stylo, se prit le visage dans les mains et s'appliqua à se souvenir la première fois qu'il était apparu. Cela avait commencé il y a quelques mois… Tout paraissait plus simple, alors… Mais lisons plutôt son récit :


*

* *

15 octobre

L'idée stupide avait germé dans mon cervelet rempli de médiéval, de chevaliers, de batailles grandioses où le fer fait craquer les os. L'inconscient collectif Perceval me dictait cela : Forger une épée. En plus, avec le thème "Grèce antique", on pourra appeler ça une séance Héphaistos. Que je suis génial, dîtes donc.

Ca paraissait facile, hein. Comme la caisse à savon. On fait un feu, on fout du fer dessus, on a une enclume, des pinces pour saisir le fer. On le mets sur l'enclume et on TAPE DESSUS. TAPER. GATÔ. Fatal easy.


Tout semblait si simple, alors…


L'enclume fut trouvée, mettons, sur la voie publique, de façon très légale. Une dalle de fonte monstrueusement lourde, que j'ai transporté dans mon sac de camp en tenant le fond dudit sac de peur qu'il craque. Pareil pour le fer à béton. Pour le feu, du charbon de bois. Le local matos nous pourvoira en tenailles, marteaux, etc. On ne s'inquiétait pas. Durandal s'invitait à la séance, tant mieux. On a besoin de gros bras. Tout allait pour le mieux.


*

* *


…Mais très vite, l'imbroglio se révéla inextricable.


2 novembre

Pour commencer, il nous fallait un moyen d'attiser le feu. La plupart des gros barbus du dimanche férus de metallurgie se contentaient d'un sèche-cheveux, mais à moins de disposer d'une rallonge de six kilomètres, cette solution allait se révéler peu pratique en pleine forêt de Sauvabelin. Nous pensions nous contenter d'un soufflet.


Je griffonnais la liste des ingrédients de cette délicate alchimie. Mon stylo faisait un bruit bizarre. Je dévisse le capot et, soudain, sans que je puisse vous décrire la scène tant elle a mis à mal les conceptions que je me faisais des lois de la physique, un esprit gigantesque sortit du stylo, comme le génie d'Aladin. Il ressemblait à l'esprit de la Patrouille Vautour, mais était plus gros, plus imposant, plus musclé, il semblait plus… Universel que la patrouille.


"– Tu ne me reconnais pas, Lays ? Je suis l'esprit des Séances Ratées.

– Oh, bon sang, ça fait longtemps qu'on vous avait plus vu !

– Ouais, ces derniers temps j'ai beaucoup traîné avec Durandal."


Durant la construction de la Caisse à Savon, j'ai souvent senti sa présence roder alentours, mais la séance fut sauvée par le freeboard de Mouette et beaucoup de bonne volonté matinale. Ca faisait longtemps en effet.


"– Vous me donnez d'ailleurs beaucoup de travail, reprit le spectre, La caisse à savon, et là… Votre séance forge ? Regarde ça."


Il jeta un journal ouvert à la page météo sur mon bureau. Fait étrange, il était daté du 26 novembre, la veille de la séance. On n'était alors que le 30 octobre.


"– Bon sang, vous avez un journal du futur ! Vite, la page du loto !"


Mais l'esprit plaqua contre le bureau la main que je tendais vers le journal.


"– Regarde plutôt la météo, c'est ce hasard-là qui nous concerne actuellement."


Neige, neige, neige. La météo prévoyait des hectolitres de neige. La vision apocalyptique d'un Sauvabelin sibérien enseveli par la glaciation blanche me submergea. Comment on fera si y'a des mammouths, d'abord ?


"– On le fera quand même, on aura un abri de carrés, dis-je, les lèvres presque tremblantes. Et je prendrai ma tente pour mettre les affaires dedans.

– Bon. L'un de vous a-t-il des compétence en Forge ?

– Euh, non.

– Vous allez allumer un feu dans trente centimètre de neige ?

– Euh, oui.

– Et essayer de forger une barre épaisse comme pas permis ?

– Euh, oui.

– Avec un feu qui aurait du mal à faire bouillir de l'eau ?

– Euh, oui.

– Sous des chutes de neige, sous un abri merdique ?

– Ben, oui, logiquement."


L'esprit sortit un appareil photo.

"Je peux prendre une photo de moi avec toi ? parce que quand je le raconterai aux copains, ils me croiront jamais."


Encourageant.




La neige est effectivement tombée. L'étoffe glacée qui habillait désormais les toits lausannois ne fit qu'amplifier nos inquiétudes. S'il tombait dix centimètres à Lausanne, Sauvabelin, c'était un glacier.


22 novembre

Arriva la semaine fatidique. L'esprit profitait du moindre recoin pour venir tourmenter mon esprit. J'avalai une gorgée de thé en lisant du Dostoïevski, que je recrachai immédiatement (le thé, hein, pas le Dostoïevski) parce que ledit spectre se cachait précisément dans ma tasse.


"– Qu'est-ce que vous faîtes là, bon sang ?

– Je viens stimuler ton anxiété, avec mon pote, la caféine."

– C'est pas hygiénique !"


Haha. Un scout qui parle d'hygiène. Crédibilité ? Zéro. Ma remarque eut autant d'effet que Michael Youn parlant de physique quantique.


"– Annule ta séance, Lays. Fais une séance luge, ou piscine à la place.

– Non, on en a déjà fait mille. Ca plait aux gars, mais voilà, on en fera quand on aura plus d'idées.

– Hah ! Vous avez trop d'idées, c'est ça le souci alors ! Et tu crois que ça va plaire à tes gars de traverser un kilomètres de neige pour se retrouver dans un abri enfumé ou un glandu tape sur une barre chaude en faisant un bruit infernal ?

– Je…

– Est-ce que tu ne cherches pas à réaliser tes caprices, tourné vers le passé mythique de ta Patrouille, tentant de lui fabriquer des reliques à vénérer ?

– Euh… C'est pas…

– Comme pour les t-shirts ou les plaques Vautour, est-ce que tu ne ferais pas passer le collectif avant l'individuel ? Est-ce que tu n'oublierais pas que le scoutisme se base sur l'individu et non la masse ?"


Le ton du fantôme n'avait pas changé, mais il avait l'air de grandir à vue d'oeil. Dans les coins de la pièce, les ombres semblèrent ramper vers moi.


"– Non !

– Tu proposes à tes gars des activités d'artisans, mais depuis quand le matériel a-t-il été le point fort du scoutisme ?

– Je… Non, c'est vrai. Mais si j'y arrive, ce sera marrant.

– Tu penses réussir à forger une épée en cinq heures, sans formation ?

– Ben un forgeron, il mets pas beaucoup plus longtemps.

– La préparation est tout. "J'ai fait ce dessin en cinq minutes, mais j'ai mis soixante ans pour y arriver" – Renoir.

– …Z'êtes vachement cultivé pour une personnification anthromorphique du ratage de séance.

– Oui, je m'engraisse de tous vos échecs. Quand on est intelligent, on apprends de ses erreurs, mais quand on est sage on apprend des erreurs des autres. Tes amis vont beaucoup apprendre de tes erreurs. Tu pètes plus haut que ton cul. Il faut des années pour parvenir à forger ne serait-ce qu'une dague et tu sautes les étapes… TU SAUTES TOUJOURS TROP D'ÉTAPES !"


Sans que je m'en rende compte, il avait haussé le ton petit à petit jusqu'au hurlement. Paniqué, je l'ai écrasé sous le premier livre qui me tombait sous la main, comme s'il s'agissait d'un talisman. Oui, il était cinq fois plus grand que le bouquin, alors j'ai pas trop compris, mais bon, que voulez-vous. Le spectre s'est dissous sous la pression littéraire en un nuage de brume. Le livre claqua contre le plancher. Je vis le titre. C'était Un Chant de Noël de Charles Dickens.


Une voix sembla résonner en dessous du silence :


…Combattre son anxiété par la littérature… C'est le propre des hommes théoriques…



*

* *



24 novembre

Puis vint l'heure d'amener une enclume(ouille) et six briques(pour le four) à Sauvabelin, quelques jours avant la séance fatidique. En plus de nos gars, nos vertèbres vont nous en vouloir aussi. Pourquoi des briques, à part pour se faire mal, me direz-vous ? Eh bien, pour faire un four pardi.



Cette photo n'est pas de moi, elle ne fait qu'illustrer le concept souhaité. C'était pour cela qu'on avait charrié les briques en suant sang, eau et bile, jusqu'à un buisson aux alentours de la cantine de Sauvabelin, histoire de garder la chaleur. Tu parles.


Quand on voyait le temps, moi et l'auguste CP, on tremblait, on gémissait, on avait peur. Nos gars vont nous détester. En gros, dans notre tête ça faisait :


Onn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'estcequinousaprisnomdebleuONN'YARRIVERAJAMAAAAIIIISSOnn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'estcequinousaprisnomdebleuOnn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'estcequinousaprisnomdebleuOnn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'estcequinousaprisnomdebleuOnn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'est-cequinousaprisnomdebleuOnn'yarriverajamaisonn'yarriverajamaisqu'est-cequinousaprisnomdebleuBouhouhou


Et puis, on débarque là-bas, et… BAM ! On se prend un gros coup de sérénité dans la tronche.




(Tu lances la vidéo, puis tu contemples les photos)


















En effet, la neige a un tel pouvoir d'apaisement sur l'esprit que Confucius, qui affirmait que tous les phénomènes météorologiques avaient une utilité, répondit, quand on lui demanda l'utilité de la neige : "La neige ? Elle sert à nous purifier"

C'est beau.


MAIS REVENONS À NOS MOUTONS PARCE QUE C'EST PAS DES DICTONS DE CHINOIS QUI VONT FAIRE AVANCER LE SCHMILLBLICK, BON SANG !


Pour quelques instants sourds à l'Esprit des Séances Ratées, nous nous sommes rendus compte que nous la connaissions, cette forêt, qu'on savait où planter l'abri, et se mettre pour ne pas trop gêner les promeneurs.



Une preuve de la présence Vautour à Sauvabelin.


Dans le bus on reprend espoir. Tout sera parfait même si… Tiens, mon natel sonne.


Mouette dit (par téléphone) :


Ouais, les copains, j'ai pris tout ce que vous m'avez demandé au local matos !


Euh, d'accord, mais dans ce cas, où sont la corde, le bidon de 25l et la casserole ?



Mouette dit (par téléphone) :


Flute ! Je savais que j'oubliais un truc ! Chuis vraiment désolé !


Non, en fait, t'en as oublié trois, mais c'est pas grave. On n'aura qu'à faire un abri sans corde, transporter de l'eau sans récipient et cuire du thé sans casserole. Je vois pas où est le problème. Merci Mouette.


"Manquerait plus que l'Esprit des Séances Ratées réapparaisse", dis-je, pour plaisanter, à mon auguste CP.

Le chauffeur du bus se retourna et dit avec une voix spectrale "Mais non, 'chuis là ! Hiark hiark !"


Et zut.





28 novembre

Dans la forêt de Sauvabelin de jeunes éclais gambadent sous la neige qui s'abattait, entre batailles de neige et fabrication de bonshommes, de neige également. Fait étrange, au lieu du noble château qui devrait figurer sur leur manche, on trouve un arbre. Brigade de Sauvabelin. Ca ne colle pas avec notre récit, me direz-vous, on s'en fout des tanches de Sauvabelin. Et pourtant…


"– Chef, chef, regarde, j'ai encore trouvé une empreinte !

– Oh, qu'est-ce donc, à ton avis ?

– Alors, d'après ce que je vois dans mon thilo… On dirait une empreinte de renard, mélangée, avec une d'aigle, une de lion et une d'ours des carpates. Et à deux mètres y'a l'air d'avoir des excréments de tigre, mais en cinquante fois plus volumineux !

– Oh, je crois que j'ai trouvé une correspondance, dit le chef"


Drôle d'empreinte, dîtes voir.


Il fouillait dans les pages supplémentaires du Thilo, celles en parchemin. Elles contiennent des arcanes secrètes du scoutisme, qui ne sont pas à mettre entre toutes les mains, telles que le noeud de Cthuluh ou la technique paralysante de Spock. Au chapitres des empreintes, le doigt du chef parcourut les schémas, avant de s'arrêter en tremblant sur une qui semblait correspondre.


"– Je… Mais… Ils n'ont plus le droit de venir ici depuis le traité d'Utrecht !, paniqua-t-il

– Chef, je croyais que ce traité régissait seulement la fin de le Guerre de Succession d'Espagne en 1713 ! (oui, la BS compte aussi des intellos)

– Nononon, ça s'occupait également de répartir les zones d'influence des brigades ! Cette empreinte, c'est celle… D'un gars de Montbenon !"


La panique secoua immédiatement la troupe d'éclais.


"Chef ! Je crois que je peux entendre ces barbares !", gémit un des plus petits.


Des bruits de marteaux et des jurons résonnèrent du fond de la forêt.


"Chef, vous croyez que si on leur jette le goûter, ils nous laisseront nous enfuir ?!"


Ainsi se retrouvèrent au milieu d'un chemin de neige une miche de pain et trois plaques de chocolat, juste derrière une foule d'empreintes de pas très pressés de s'enfuir. Seulement, nul n'en profita parce que la neige finit rapidement par les dissimuler aux regards.


Plus loin, sur le chemin, les coups de marteaux s'amplifiaient. En effet, on s'y était installé dès le matin, 10h, pour avoir le temps de monter l'abri. Mais comme les gars ne sont pas encore arrivés on peut en profiter pour laisser s'ébattre nos âmes d'enfants, et faire une petite bataille de boules de neige, nous aussi.


Hurk hurk, que je suis polisson, je vais lui lancer cette petite boule de neige. Hé, Lays ! Attrape ça !


HÉÉÉÉÉÉ ! POUCE ! Y'A POUCE !



Et que croyez-vous que virent mes éclais quand ils débarquèrent ?



…Au milieu d'une atmosphère incandescente, un titan, torse nu, fait luire ses puissants muscles en cognant avec maîtrise sur une barre de fer qui exsude une puissante lumière dorée. Ses accolytes pressent les soufflets au point de leur faire cracher des ouragans et que le fourneau fait fondre la neige à cinq mètres alentours. Le arpèges mélodieux des chocs répétés contre l'enclume viennent emplir la forêt autour, et c'est sur un char de feu, traîné par le soleil que vient…


Non. Clairement non.



"Eh, c'est quoi, ce machin ?"



"– Eh, regardez, ce serait pas eux, là-bas ?

– Nan, ça c'est un campement de gitans."



"Nan mais sérieux, je crois que c'est eux.

– Oh, galère."



Cafouillages en série. Pour commencer, Hermine devait aller se faire poser des lentilles à 11h, saleté de myope, Otarie partait pour 14h30 et Pierre avait eu un accident de bus (quelle vue palpitante il a, ce garnement). Privés de tant de moyens, nous dûmes accélérer la construction de l'abri sous une neige battante. Oui, je sais, on dit normalement 'une pluie battante', mais la violence du truc justifie l'expression.



"GITAN !"

Quand on eut cependant un abri approximatif, on se dépêcha d'allumer le charbon de bois emporté et de l'attiser par nos soufflets. Le but ? Forger une épée ? Non, ça nous était sorti de la tête. Le but c'était de survivre. Et donc de faire du thé.


"– On est venu pourquoi, déjà ?

– Euh, pour faire du thé, je crois, ou parce que le paysage était joli.

– Et tous ces marteaux, cette enclume, ces tenailles ?

– Euh, je sais plus."


C'est dans ce piteux état que nos gars nous ont trouvé. Avec du Tenacious D qui passait dans les enceintes. Autant dire encore plus misérable.


Je me suis donc retiré dans la petite tente qu'on avait prise pour protéger les affaires de rechange en prétextant vouloir changer de chaussettes. Une fois à l'intérieur, je me suis installé sur mes coudes et j'ai sorti un sac plastique de ma poche. J'en ai extrait un livre, à la couverture dégueulasse :


Physique – Aristote


J'avais en effet moult lectures en retard. J'ouvrai à la page où je m'étais arrêté de lire. J'en sortis mon marque page. Une minute, ce n'est pas mon marque page, c'est…


"– Hello !

– Rah, mais sortez de là, bon sang !

– Pas très confortable, ce livre. Très pédant, ce Aristote. Et répétitif. Dis-moi, c'est pas très scout, le mec qui lit sous la tente.

– Roh, ça va, hein.

– Tiens, t'as aussi le Gai Savoir de Nietzsche ? Tu sais ce que Nietzsche appelait les hommes théoriques ? Tu crois pas que ça te correspond assez ?

– Fiche le camp.

– Un gars qui emprunte le manuel du forgeron coutelier et qui se prend après pour Héphaïstos, en entraînant une patrouille et une troupe dans son délire. Bravo, joli score.

– C'est pas si terrible. On a du thé, on est à l'abri, le paysage est beau. D'ailleurs j'vais prendre deux-trois photos.

– Non, t'as oublié ton appareil.

– Argh, c'est vrai, en plus !

– Hé oui, tu t'encombres d'une dalle en fonte, de six briques, de dix carrés militaires, d'une tente, une corde, deux massettes, un marteau, une scie à métaux, une barre à mine, de cinq kilogs de charbon de bois, de deux soufflets et d'une casserole au milieu d'une magnifique forêt hivernale et tu OUBLIES TON APPAREIL PHOTO. Tu as vraiment un don pour gâcher pareil paysage."


Dehors un certain tumulte se faisait entendre.


"– Mais chef, on n'a qu'à forger la casserole, en plus elle est déjà sur le feu ! C'était Jules

– Ouais pas con, en plus y'a déjà les poignées pour l'épée !

– Et après la bataille on pourra se faire à manger dedans !

– Utile.

– Lol !

– Tu fais quoi, Pierre ?


– J'FAIS DU CARAMEL, CHEF, EN BRULANT DU SUCRE !"


Une odeur de sucre brûlé se répandait en effet dans l'air. L'Esprit des Séances Ratées se tourna vers moi.


"– Enthousiastes, tes gars, me dit-il. Ils ont l'air emballés par cette idée de faire une épée.

– On a un peu laissé tomber, en fait. Trop froid.

– Oh, tu n'as même pas le courage de tes délires, en fait, tu amènes tout ça ici, juste pour rester à côté en train de glander à boire du thé.

– Ouais mais bon c'est pas pire que les Lynx PVL.

– C'est quoi leur séance, déjà ?

– D'après Moret : "ON FAI DES BONNHOMES DE NEIGE ET APRES ON LES CATCHES !"

–Bon, je reconnais qu'eux aussi sont de gros clients, t'aurais pu tomber pire, j'avoue. Mais tu penses pas que…"


Mais j'étais déjà sorti de la tente.


*

* *


Les Lynx étaient venus se moquer de nous nous rendre une petite visite amicale. A peine les ai-je vu arriver, les mains pleines de boules de neige, que je ne me suis pas méfié du tout, nonnon je suis un heureux imbécile. Toujours est-il que le feu se mit à cracher moult vapeurs et fumées, au milieu des crasses de sucre que Pierre s'était amusé à confectioner. LA fumée devint si insupportable que bientôt on se trouva dans la situation grotesque d'une troupe d'éclais discutant en dehors de l'abri, sous la neige, avec juste un clodo sous l'abri, comme un shaman sous une tente de fumigation.

Non pas que la fierté m'empêchât de quitter mon navire. Surtout que Hermine et Otarie sont déjà partis ainsi que tous mes gars(donc Jules, Iskander et Pierre), il n'est plus question ici de fierté. Mais mes chaussures étaient trempes et mes chaussettes séchaient auprès du feu. Pieds nus, j'allais pas aller très loin.


"– Non, mais tu sais, si je m'acharne un peu, c'est que j'ai pas envie que tu engendre une génération de chefs blasés.


– Mais tu vas me lâcher, oui !

– Tu pleures ?

– C'est la fumée.

– Mais faut pas te mettre dans des états pareils, c'est qu'une séance. T'en as déjà raté des tas.

– C'est la fumée, je te dis."


*

* *


De nouveau, la pièce sombre et qui sentait la fumée. Pas compliqué à expliquer, vu le pack de carrés enfumés qui moisissait dans un coin. De nouveau le bureau et l'obscurité. Et accoudé, le sCP Vautour. Il finit d'écrire et posa son stylo. La tente aussi il aurait dû la mettre à sécher, mais la flemme.


"– Trop Mélancolique, la fin. Beaucoup trop mélancolique, on dirait une fin de saison de Scrubs, après tout plein de gags on sort les violons et le piano pour te faire chialer. Pas terrible.", dit l'Esprit des Séances Ratées, de quelque part dans la pièce.


Bien décidé à le débusquer avant qu'il ne me surprenne à nouveau, j'ai renversé ma chaise et commencé à retourné les papiers de mon bureau.

"Pas ici.", dit-il de quelque part derrière moi la pièce. Le lit ? Sans succès. "Indice : plus humide." J'ai ouvert le pack de carrés les ai étendus, et me suis mis à farfouiller pour enfin le débusquer au milieu.


"– Qu'est-ce que vous foutez encore là ? J'ai foiré ma séance, soit, mais elle est finie.

– Oui, mais il faut que je mette la dernière touche à mon sermon : ta dernière tendance, celle de sublimer tes séances nulles par des articles sur ton blog. "L'art est le fruit de la défaite", comme disait l'autre.

– Bon, bon, j'éviterai à l'avenir. Et c'est tout ?

– Non, il fallait aussi que je vienne te filer une raison d'étendre les carrés, sans quoi ils auraient encore plus moisi."


Il disparut. En regardant alentours, je constatai qu'il disait vrai : Les carrés étaient bien étendus et commençaient à évaporer.

Bien joué.



jeudi 11 novembre 2010

Caisse à Savon

"Le succès, c'est d'enchaîner les échecs sans perdre de son enthousiasme."
Winston Churchill




Une odeur âcre d'homme peu enclin à se laver flottait dans la pièce enténébrée.
L'homme, en effet, étendu au milieu de paperasses sans nombre et sans intérêt semblait effectivement avoir délaissé le corps au profit de l'esprit. Je n'insinue rien, mais il semble que sa puanteur ait attiré quelque chose, de plus puant encore…Cet individu ouvrit une paupière encrassée par de nombreuses lectures intensives, et scruta la pénombre, où il distingua une présence.

"– B…Bon sang, mais qui êtes vous donc ?!
– Je Suis… L'Esprit De La Patrouille Vautour !
– Oh, c'est dingue, mais je vous imaginais plus grand.
– Oui, C'Est Parce Que J'Ai Été Malade."

En effet, le spectre à la bouche emplie de majuscules avait raison : quand on me parlait du passé de ma patrouille, les mots les plus courant étaient "c'était malade".

"– Si Je M'Adresse À Toi, Lays, C'est Pour… Oh, et puis au diable cette ponctuation pesante. Si je m'adresse à toi, disais-je, c'est pour te demander une construction.
– Gné, quoi comme construction ?
– Fais-toi une arche en bois résineux, tu la feras en roseaux et tu l'enduiras de bitume en dedans et en dehors. Voici comment tu la feras : trois cents coudées pour la longueur de l'arche, cinquante coudées pour… sa… largeur…
– Euh, ça, c'est l'arche de Noé.
Oui je sais je m'emmêle dans mes papiers, nom de bleu de… Ah, voilà. Tu Construiras Une Caisse À Savon !"

Et voilà. Foutu.
Au cas où l'ignorance poindrait au coin de vos méninges, apprenez qu'une caisse à savon est une embarcation munie de quatre roues, d'un siège, d'un système pour freiner et d'un pour tourner. Une voiture sans moteur en fait.
Le monde cherche à te faire croire que ça ressemble à ça :

Et puis en fait, ce à quoi on est parvenu.


Pourquoi est-ce que j'ai subitement honte ? (En arrière-plan, les sous-vêtements du sCP Vautour, véritables sources de testostérone pure.)

En même temps, je dois mentionner la participation active de mes gars.




…Ce sont tous des lapins crétins, et je suis leur chef, bouhouhou...

Bref, Durandal dut venir nous aider à confectionner les freins et à finaliser la solidité (avec un brelage de cordelette, je ne commenterai même pas). Il faut dire que dès qu'il s'agit de freiner ou de bloquer, ces ancres peuvent être d'une utilité amusante.

Elle ne tint pas longtemps. Cassée à deux reprises lors des essais, réparée, puis la barre de direction fut pliée et cassée par le poids de Corneille puis d'Antonin, qui négligèrent successivement quelques petits détails, genre la gravité, avant de s'installer dessus.

Le chariot de Charon, le Nautier des Enfers, fut finalement remplacé avec avantage, par un freeboard, et la carcasse dégingandée jetée aux Quatre-Vents à la hâte pour leur rappeler le vague fantôme de leur caisse à savon, qu'ils s'étaient fait dérober. Et c'est tout.

*
* *

Dans l'ombre, l'esprit de la Patrouille Vautour. Il attend le printemps pour remettre les outils adéquats dans les mains de ces inconscients… Alors peut-être sous leurs coups de marteau naîtra la VautourMobile II !