Pom po-pom pom pom…

En manque crucial de gars, la patrouille recrute.

jeudi 21 avril 2011

AINSI PARLAIT L'ECLAIREUR




Quand il eut passé son aspirant, sa deuxième classe, sa première classe et que tous les badges du monde eurent garni sa manche (même le badge "Troubadour de Dieu", celui qui fait rire les gens rien qu'en l'évoquant), l'Éclaireur quitta sa troupe pour parcourir les camps du monde entier. 
Il revint pourtant un soir, parmi ses anciens éclais alors regroupés autour du feu, par le plus grand des hasards.

Sortant des ténèbres, la chemise en lambeaux mille fois recousus, il se mit à leur parler de ce qu'il avait vu et appris…
DU FOULARD ET DU TORCHON

J'ai vu, de par le monde, des kilomètres de foulards. Mais de quelle couleur étaient-ils, je ne peut pas vous le dire, j'y suis aveugle. Je ne vois que sous le tissu, leur couleur véritable. Couleur sang. Peut-être est-ce mieux car, vous le savez, les couleurs vous exaltent les sens mais elles cambriolent votre esprit et repartent avec votre raison.
Mais quelle que soit leur provenance ou leurs convictions, tous traitaient leurs foulards comme leur propre sang, souhaitant le garder au plus près d'eux-mêmes. Il y a ceux qui sacralisent ce sang. Comme c'est le fer qui a fait couler celui de leur Sauveur, ils n'attachent leur foulard qu'avec une boucle du même métal, ne voulant pas ou ne pouvant pas y faire un noeud carré. En face, il y a ceux qui voudraient essuyer le monde entier sur leur foulard, se servant de ce sang comme détergent. Un foulard comme torchon.
S'ils sont confrontés à quelque immondice, nul doute qu'il l'écraseront entre les seuls pans de tissu qu'ils ont à portée de main, leurs foulards et leurs chemises bien-aimés.
Ne prenez pas l'air dégouté de qui vénère ces triangles de tissu roulés. Car jai vu des gens porter un foulard au cou et cracher sur ceux qui l'arboraient autour de la tête. J'en ai vu qui échangeaient deux cents fois leur foulard au sein de leur troupe sans même s'en rendre compte car ils n'avaient pas d'odeurs, et toujours le considérer comme leur. J'en ai vu dérober et souiller les foulards de leurs frères et soeurs en imprimant leur nom dessus, comme on marque du bétail.
Parmi eux, les plus sensés m'ont paru ceux qui, justement, n'avaient pas peur de diminuer la grandeur de leurs foulards en les couvrant de saleté, car c'est ainsi que les foulards vivent, et c'est ainsi qu'ils transportent leur biographie.

Par contre, Moret, lave ta chemise, c'est une horreur. C'est plus une biographie, c'est l'histoire de la civilisation en douze tomes.
Ainsi parlait l'Eclaireur.

 

DU MORSE ET DES BADGES


Voyez-vous cela ? Voyez-vous ce produit d'un siècle ingrat ? Un Natel. Eh, oui ! En fait de voitures volantes, nous n'avons écopé que d'Internet et du téléphone portable, de plus en plus équipé dudit internet. Pourtant, ces quelques centimètres cubes de technologie me permettent d'envoyer à l'un de mes amis, fût-il au sommet de l'Himalaya, une vidéo de moi-même en train de gober un flan. Alors que cette magie a raccourci toute distance et qu'on peut parler au creux d'une oreille à mille kilomètres de là, nous apprendrions encore le morse ? Pourquoi, vous dis-je ? Pourquoi nos scouts étudient-ils encore cette langue morte, ce latin des télécommunications ? Pourquoi se mutiler à coups de traits et de points ?
Je vais vous le dire pourquoi, pour se garnir la manche d'étoiles et de roses des vents, pour afficher son savoir, pour le solidifier ! Oh ! Moi aussi, vous dîtes-vous, moi aussi je suis tombé dans cette abysse, au vu de mes insignes. J'ai tant de badges, de tant d'horizons que je peine à plier le bras ! Et qui s'intéresse qu'on m'ait distingué de par mes connaissances en astronomie ou en jovialité ? Bah ! Moi aussi j'ai couru derrière le tintement de ces étoiles et moi aussi j'ai cherché à entendre le souffle de ces roses des vents, et j'ai couru derrière ces hochets comme le plus docile des louveteaux. 
Ne suivez pas mon exemple, et voyez plutôt. Qu'est-ce qui compte le plus sur cette chemise ? Les badges ? Non, vous avez bien compris que non. Le foulard ? Mais mon foulard est délavé, au-delà de la plus pâle couleur. Non, le plus important, ce sont les fils qui attachent ensemble la chemise et ces récompenses. En effet, les badges, la chemise, le foulard, l'a-t-on tissé nous-mêmes ?
Non, non. Mais j'ai ces insignes, c'est moi qui les ai attachés, une fierté indicible au bout de mon aiguille. Les broderies les entourant me semblaient d'or. Et une fois que c'était fini, , je pouvais enfin dire que c'était mon badge.
Ainsi parlait l'Eclaireur.

DU SECRET


Qu'avez vous fait de la confiance qu'on vous portait, vous, les chefs ? La confiance de vos éclais, d'abord, de leurs parents ensuite. A leurs interrogations justifiées, vous proposez une façade de théâtre. Je parle de ceux qui veulent abattre la lune, en secret et dans un coffre scellé de mensonges. Que dire alors, de cette troupe à deux vitesses où se côtoient des esprits concurrents : ceux qui savent et ceux qui ne savent pas ? Rappelez-vous que le secret et le mensonge sont les pires ennemis de la confiance.
Que dire aussi de la brume de sang qui aurait du recouvrir les orties et les ronces ? Alors novice, je me forgeais mon armure pour résister à ces douleurs qu'on prophétisait… Et… Je voudrais bien vous révéler ce qui s'est passé ensuite mais…
C'est secret.
Ainsi parlait l'Eclaireur.


DU FOND DES FONTAINES


Un jour que je chantais Stewball au bord d'une fontaine, je cherchais à regarder le reflet de ma chanson dans l'eau claire de cette source, mais je ne le vis pas. En effet, le liquide de la fontaine se troublait en contrebas de mousses et de limon. La surface de l'eau se couvrait également de toiles d'araignées. J'interrogeais l'arachnide qui courait au bord de l'onde.
Elle m'avoua que personne n'avait plus fendu la surface de la fontaine depuis des lustres. Cela faisait quarante générations d'araignées qu'aucun scout n'avait plus été immergé dedans, ce qui n'était pas pour déplaire au royaume des bêtes-à-huit-pattes qui se tissait en travers de l'abreuvoir. En effet, elle me souffla que le dernier portait un béret basque et des culottes courtes, ce pouvait donc être au moins mon grand-père.
J'ai vu tous les faux prétextes que vous invoquiez pour ne pas finir à l'eau : "Chef, il fait trop froid", "Chef, j'ai été malade mardi" ou "Chef, j'ai la communion de ma grand-mère juste après". Ne vous défilez pas avec ces fallacieuses prétentions timorées. Désormais, il faut faire signer huit cents formulaires avant de balancer une éclaireuse à la fontaine, mais mesdemoiselles, il ne s'agit pas que d'une fontaine, il s'agit de beaucoup, beaucoup plus.
Mais, en attendant ces sacrifiés, l'eau stagne et moisit.
Ainsi parlait l'Eclaireur.


DU SÉRIEUX ET DE LA POUSSÉE D’ARCHIMÈDE


Après trois jours en forêt, après le grand Combat des Peuples, durant lequel nous étions devenus les frères des dragons et les compagnons des hiboux, je regardais des éclais cheminer vers le grand Chariot de Fer qui allait les ramener chez eux. Ils avaient gardé les parures de l'aventure, casque à corne et tunique, et venaient de transgresser une barrière et de traverser un champ vierge, afin de prendre un raccourci, au contraire de ceux qui, justement, zigzaguaient sans but en prolongeant leur marche par le sentier farfelu.
Alors, vint un des frères des dragons, sans doute jaloux de n'avoir point trouvé le raccourci, qui courut de travers pour venir leur hurler dessus. Trois jours à diriger un jeu lui avaient sans doute troublé les hormones au point d'être persuadé de sa légitime autorité sur des éclais qui ne lui appartenaient plus.
Pourtant, il hurlait et son discours représentait plus ou moins ceci :

« Hé, vous, avec vos casques à cornes ! Vous qui gâchez le travail de l'agriculteur qui a longuement laissé ses terres sans rien faire dessus ! Vous croyez-vous suffisamment grands pour enjamber les clôtures qu'on vous a défendu ? Croyez-vous que le cortège fasse les milles détours d'une route chauffée par le soleil uniquement pour s'amuser ? Non, non, vous dis-je ! Mais prenez donc garde à la poussée d'Archimède qui attire les esprits légers en dehors des sentiers battus. Vous vous foutez de qui ? Si chacun faisait comme vous, le champ serait foutu, alors vous allez faire demi-tour et que ça saute ! »

Et les éclais rirent de sa prétention absurde. La contrition mêlée de pitié méprisante qui s’échelonnait sur leurs visages en une riante symphonie aurait pu se traduire par :  « Heu, t’as porté un costume en papier mâché pendant trois jours, merci pour la bouffe et les énigmes, mais si t’arrêtais de te prendre pour notre mère/un flic/Dark Vador/le CP Vautour/ un omnipotent quelconque (rayer les mentions inutiles) ce serait sympa. Ah et sinon t’as un truc sur la figure, là. L’air de nous prendre pour des mecs de Sauvabelin tes sous-fifres.»

« Quoi, dirent-ils, quoi ?  On est déjà tous passé par ce champ, lors de notre arrivée, tous, sans coup férir. Et tu nous imposes un détour ? Mais bonhomme, regarde bien, nous en avons déjà parcouru les trois-quarts, faire demi tour, revient à faire subir trois fois plus de blessures à cette herbe que tu sembles chérir. Non ? Et si, en temps que scout, t'as jamais eu à traverser un champ, c'est que t'es pas allé très loin. Toujours pas ?  Et si la poussée d'Archimède faisait sortir les esprits légers des sentiers, excuse-moi de te le dire, mais tu serais déjà en Chine. »

(Bon en vrai, ils savent pas parler – Et encore moins écrire vu leur présence restreinte dans ce numéro –  mais on est dans un article de la Cloque, là, laissez-moi rêver.)

Du moins, ils s'apprêtaient à invectiver le pseudo-chef avec ces mots, mais je leur soufflai à l'oreille le conseil de la prudence :
Je suis un bon fils, l'ami de tous et le frère de tous les éclaireurs, leur dis-je. Je protège les plantes. Je sais obéir. Laissez donc l'ordre vous glisser dessus et agissez selon son bon plaisir, pour une fois. Voyez, la troupe qui caracole, là-bas. Elle vous regarde avec compassion, savez-vous pourquoi ? Le dictateur auto-proclamé que voici est leur ancien chef, et n'a jamais sur leur instiller la moindre once de sympathie, la pauvre âme. C’est de la justice Shadok : comme on n’a pas les moyens d’être juste avec tout le monde, on inflige à tous le supplice du détour bête pour égaliser.

Une fois parvenus à l'endroit à l'endroit ou le train chariot de fer devait les récupérer, tout le monde s'entassait au bas des voies, jusqu'à ce qu'un incompétent du même acabit vienne les déloger pour leur demander de reculer sur le champ de blé. Oui ! Prenez garde à la Poussée d'Archimède qui vous aspirera entre les roues ! On voulut bien arguer que cette fois-ci il s'agissait bien d'une plante utile(tu sais, du blé, ça sert à faire de la farine, et donc… à poutrer des éclaireuses), mais rien n'y fit. A force de régenter un jeu pendant trois jours ils se prenaient pour les princes de ce monde.
Mais souvenez vous-en, les jeux ont un début, un milieu et une fin. ET UNE FIN. Ne vous laissez pas dominer par votre rôle quand le gong final a retenti. Ne vous prenez pas au sérieux.
Le scoutisme est lui-même un grand jeu. La vie n'est qu'une série de jeux imbriqués les uns dans les autres. A la fin, sachez abandonner les étendards qu'on vous a donné le temps de la partie. A la fin du match, on échange les maillots. A la fin de la séance, sachez mettre bas la chemise. Mais rappelez-vous qu'un foulard n'est pas une couronne. Même quand on l'a enlevé on le porte toujours.

Ainsi parlait l'Eclaireur.

*
*   *


Quand il eut fini de parler, il planta son regard dans les étoiles. Sa voix avait laissé place aux doux crépitements du feu mourant, que personne n'avait osé alimenter durant le long monologue. Puis il baissa la tête et embrassa d'un éclat des yeux la totalité des regards qui montaient vers lui. N'osant pas croiser ces perles de feu qui dormaient dans ses pupilles, chacun fit immédiatement semblant de trouver un subit intérêt au sol, au ciel, à ses lacets ou à quelque autre parcelle de l'univers.
L'Eclaireur fit lentement le tour du cercle soudain silencieux et figé, tendant une jambe après l'autre, par à-coups ralentis. En tournant il semblait aspirer le peu d'énergie qui restait au congrès d'éclais statufiés. Ils sentaient néanmoins sur leur chair immobile ce regard où semblaient se refléter des flammes bien qu'il ne restât plus, au milieu du cercle, que des braises, et pour éviter ces oeillades, ils firent semblant de dormir.

A force de faire semblant, ils finirent par s'endormir. Et quand le dernier souffle saccadé par l'émotion fut remplacé par la respiration grave et lente du vrai sommeil, le feu mourut complètement. Le foyer laissa échapper une énorme volute de fumée, ainsi qu'un dragon insolent, qui vint cacher l'Eclaireur aux regards des animaux qui s'étaient rassemblés alentours pour écouter.
Bientôt, à travers le brouillard, on ne vit plus que sa chemise. Puis son foulard. Puis ses badges. Enfin, un instant, des fils d'or semblèrent flotter dans les airs. Puis on ne vit plus rien.

Loin, très loin dans les ténèbres, une chouette hulula.
Merlin.

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